L’arrivée de l’électrique va profondément changer le secteur de l’entretien-réparation automobile en réduisant drastiquement les révisions et les lourdes interventions techniques sur le moteur. Le pneumatique, les rares pannes et la vente d’équipements autour de la recharge constitueront le gros de l’activité.
C’est un défi de grande taille qui attend le secteur de l’entretien-réparation automobile. Celui de réinventer son modèle économique, remis sérieusement en cause par l’électrification des véhicules. Rien d’urgent pour l’heure : le parc automobile continu de vieillir et le marché du véhicule d’occasion est au meilleur de sa forme. De quoi voir venir les choses. L’enjeu reste néanmoins historique. « Il faut amorcer sans délais l’acquisition des connaissances et la courbe d’expérience » conseille Eric Champarnaud, dirigeant du cabinet C-Ways. Et à Philippe Bohnec, responsable après-vente Renault au sein du Groupe Warsemann de planter le décor : « l’entretien du Renault Zoe de dernière génération sur une période de 6 ans génère 320 euros de chiffre d’affaires, contre 1235 euros pour son équivalent thermique la Clio 5, essence comme diesel ». C’est donc une division par quatre des revenus issus des révisions à laquelle doit se préparer les ateliers. Nos calculs montrent que la suppression des opérations autour du moteur à combustion (révision, vidange, distribution, embrayage, bougies) entraine au bas mot un manque à gagner sur la vie d’un véhicule (11 ans de moyenne d’âge) de 3 600 euros par voiture. Soit 60 % du revenu total de la maintenance d’un véhicule sur sa vie. Si on multiplie ce montant par 39 millions de véhicules en circulation, ce sont 140 milliards d’euros de perdus à périmètre constant pour le marché lorsque tout le parc sera composé de véhicules 100 % électriques.
Le secteur de l’entretien-réparation automobile doit se réinventer pour assurer son avenir. Sans aller vers cet extrême, qui ne se produira pas avant 20-25 ans, une étude de l’Anfa, publiée en octobre 2020, montre qu’avec 30 % de pénétration de véhicules électriques dans le parc, le volume total d’opérations après-vente diminuerait de 4 %, passant de 64 à 61 millions. Le nombre d’heures d’après-vente devrait diminuer, lui, de façon plus sensible, de -13 %, passant de 161 millions d’euros à 140 millions. Le chiffre d’affaire du marché pourrait ainsi passer de 47 à 42 milliards. Cela pourrait coûter 31 000 emplois. « Renault s’attend à une réduction des productifs en atelier de 30 % dans les 5 à 7 ans à venir » témoigne Philippe Bohnec. Les concessionnaires seraient les premiers impactés, la filière indépendante profitant encore durant de longues années du parc thermique vieillissant.
Mais quand allons-nous atteindre ce taux de 30 % du parc ? Difficile de dater les choses, surtout dans ce contexte économique incertain. L’Anfa table sur 2036 au pire. Une étude plus récente de CWays dresse un scénario plus rapide où ce taux pourrait être largement atteint dès 2030! Il faut dire que sous l’impulsion de l’arrivée de nouvelles marques telles que Tesla, Vinsfast, Aiways, MG ou encore BYD, et de la multiplication des modèles électrifiés au catalogue des constructeurs, les ventes de véhicules électrique se sont accélérées l’an passé.
A ce stade, les véhicules rechargeables (hybride et full électrique) représentent 2 % du parc roulant. Un taux qui sera porté au minimum, selon les objectifs de la filière automobile à 2,6 % en fin d’année. La croissance est rapide, pour ne pas dire exponentielle. L’an passé, les ventes de véhicules rechargeables ont représenté 15 % de part de marché (10 % pour les 100 % électriques) avec une croissance de 62 % par rapport à 2020, et + 355 % par rapport à 2019 ! La part de marché des véhicules électriques pourrait être de 40 % en 2025, dont 30 % pour les purs électriques. Une récente enquête menée par la Banque Européenne d’Investissement indique que 23 % des Français choisiront un véhicule électrique pour leur prochain achat et 38 % un hybride. Selon les constructeurs, d’ici à 4 ans, avec un coût des batteries divisé par deux, le prix d’un véhicule électrique sera équivalant à celui d’un thermique. Voilà qui devrait donner un vrai coup d’accélérateur aux ventes. Sans oublier le fait qu’une large majorité des constructeurs se sont engagés autour de 2030 à ne plus vendre de véhicules thermiques. En 2035, 100 % des ventes seront des véhicules totalement électriques.
Formation, investissements et nouvelles offres d’électromobilité
L’enjeu n’est pas qu’économique. Il faut aussi former les 120 000 garagistes à ces nouvelles technologies et faire en sorte qu’ils soient certifiés pour intervenir dans un environnement de haute tension. 40 % du chiffre d’affaires des distributeurs est menacé par l’électromobilité. Il faudra que les acteurs des services après-vente trouvent des nouveaux relais de croissance et bâtir de nouvelles offres, notamment autour de la chaine de traction électrique. Si celle-ci est bien moins complexe que la technologie historique et limitée au niveau des pièces en mouvement et donc d’usure, elle n’est pas exempt de pannes. Les incidents au niveau de la batterie, des modules de charges, de l’électronique de puissance et des faisceaux électriques restent possibles. Du reste, le contrôle technique obligatoire demande à ce que l’intégrité des faisceaux haute tension soit vérifiée. De nouveaux services autour de la batterie seront proposés, comme la mesure de son état de santé, nécessaire lors de la revente d’un véhicule. La réparation de ces organes électriques sophistiqués se présente comme plus coûteuse. Si les opérations de maintenance seront moins fréquentes, elles gagneront assurément en valeur, notamment en matière de main d’œuvre, mais dans la limite de la valeur résiduelle du véhicule. Un souci d’équilibre financier risque de se poser en fonction de l’âge du véhicule. Les réparations des batteries, sans doute le point faible le plus critique des véhicules électriques, apparaissent comme une activité naissante mais qui ne concernera que quelques ateliers spécialisées. Les ventes d’équipements autour de la recharge, câbles et bornes, se présentent de même comme de nouveaux revenus.
Norauto vient ainsi d’annoncer que l’ensemble de ses centres proposera un forfait entretien 100 % dédié aux véhicules électriques incluant notamment le diagnostic électronique, une vérification de l’état de la batterie, des câbles, du pack batterie, etc. L’enseigne propose également à ses clients la vente de bornes de recharge ainsi qu’une large gamme de câbles et de chargeurs avec prise domestique. Les centres seront aussi équipés de bornes sur leur parking. Le prix de la recharge restera « accessible » assure Norauto.
Les ateliers multimarques à la traîne
Feu Vert a été l’une des premières grandes enseignes à se positionner sur l’électrique avec un partenariat signé avec le jeune constructeur chinois Aiways. A ce jour, 23 points Feu Vert sont centre de service agréé Aiways. Les techniciens ont été formés pour opérer tous types d’interventions sur le véhicule : entretien courant, diagnostic, mises à jour logicielles ou encore la dépose de la batterie si besoin. Des opérations toutes facturées 114 euros de l’heure HT, soit deux fois plus que classiquement. Les centres se sont formés et équipés en conséquence. Ils proposent un accueil dédié.
Pour Feu Vert, ce partenariat est avant tout une question d’image et l’occasion d’acquérir de l’expérience. En se rapprochant du constructeur Fisker, Speedy poursuit le même objectif. Si les réseaux constructeurs et les grandes enseignes du retail ont commencé leur mue, les enseignes de MRA et leurs distributeurs se montrent plus perplexes et attendent encore de voir. Cela n’empêche pas les réflexions. Du côté de chez Alliance Automotiv Group, on pourrait s’inspirer de l’expérience acquise avec le réseau de garages NexDrive que le groupe anime depuis plusieurs années aux Pays-Bas, deuxième marché du véhicule électrique en Europe. L’enseigne est spécialisée dans l’électromobilité avec à date une centaine de centres. « Nous avançons avec humilité sur le sujet du véhicule électrique, mais NexDrive commence à nous donner des informations très intéressantes. Elles nous montrent le chemin à suivre » commente Vincent Congnet, directeur des réseaux chez AAG.
La bataille du véhicule connecté
L’arrivée du véhicule électrique dans les ateliers ne doit cependant pas occulter que 62 % des pièces de son équivalent thermique restent potentiellement à changer en cas de panne. Climatisation, liaison au sol, circuit de refroidissement, transmission, vitrage, carrosserie, éclairage, équipements électroniques de confort et de sécurité, et batterie 12 volts, seront toujours des organes à entretenir. Sans oublier le pneumatique qui deviendra la première raison d’entrée en atelier. Les véhicules électriques étant plus puissants, plus lourds et potentiellement d’une durée de vie plus longue, ils devraient être davantage consommateurs de pièces de liaison au sol et de pneumatiques sur tout le cycle de vie.
Pour ce qui est du freinage et des plaquettes de frein, là encore les opérations devraient drastiquement chuter. Le système de génération d’énergie lors d’un freinage limite significativement l’usure des plaquettes. « Sur une Renault Zoé, la durée de vie d’un jeu de plaquettes de freins peut atteindre les 100 000 km contre 30 000 km habituellement » signale Philippe Bohnec. Globalement les périodicités d’entretien se rallongent. La proximité avec les clients sera moins prégnante et les capter, plus difficile. Cela d’autant plus que les véhicules électriques les plus récents sont construits sur la base de nouvelles plateformes et architectures électroniques. Ce sont des véhicules ultra connectés. Si cette connectivité permet sur tout le cycle de vie de la voiture d’inédites possibilités de mises à jour logicielles, monétisables ajouts de nouvelles fonctionnalités, elle représente un redoutable moyen de canaliser les clients en après-vente que pourraient exploiter seuls les réseaux constructeurs. L’enjeu pour la filière indépendante est que ce canal de la connectivité leur soit ouvert. La partie est loin d’être gagnée.
Article rédigé en collaboration avec Décision Atelier Aftermarket, le magazine de référence des réparateurs automobiles édité par ETAI.